Dans le prolongement de notre article de février, où nous analysions le phénomène des créations d’hôtels à Paris (le « nouveau » parc hôtelier), nous poursuivons l’étude des évolutions du parc hôtelier parisien, en nous focalisant sur les tendances du parc hôtelier « existant ». Pour rappel, Paris souffrait d’un déficit en nombre de clés pour accueillir le flux croissant des touristes (1), mais ce n’était pas le seul problème. La seconde problématique était le nécessaire traitement de l’obsolescence d’une majorité d’hôtels (vétusté des immeubles, adaptation aux nouveaux standards hôteliers, notamment internationaux). D’autant qu’en parallèle l’environnement est devenu plus exigeant, le cadre réglementaire a évolué (mise aux normes accessibilité et sécurité-incendie, nouveau classement hôtelier, hausses de la TVA), et les attentes de la clientèle en termes de prix et de qualité des prestations n’ont cessé d’augmenter. Les hôteliers ont donc été dans l’obligation de rénover leurs établissements, et ont entrepris une lourde série de travaux. La dynamique est ainsi remarquable pour la période 2011/2015 : plus de 500 hôtels ont déposé des demandes de travaux. Dans le cadre de nos recherches, nous avons analysé l’ensemble des demandes d’autorisation d’urbanisme sur cinq années (2011/2015), et avons dégagé 3 axes d’analyse (2) :

  • La nature des travaux
  • La localisation des établissements
  • La capacité des établissements

 

Le parc hôtelier parisien est très hétérogène, et dominé par les établissements de faible capacité La quantification du parc hôtelier parisien est difficile, car la définition juridique d’un « établissement hôtelier » diverge selon les différents Codes concernés (Code de l’Urbanisme, Code de la Construction et de l’Habitation, Code du Tourisme, Code Général des Impôts, etc.), et les différents décomptes d’hôtels ne se recoupent pas entre eux.

S’agissant d’un établissement, le classement hôtelier n’est pas obligatoire, et certains types d’offres hôtelières ne trouvent pas leur place dans celui-ci : par exemple les « nouvelles » auberges de jeunesse qui présentent un bon niveau de confort ne sont pas classées, quand bien même leurs prestations dépassent celles de certains hôtels économiques.

Par ailleurs, au sens du Code l’Urbanisme, tous les hôtels ne sont pas classés en « hébergement hôtelier », c’est notamment le cas de certaines résidences hôtelières ou de résidences de tourisme qui relèvent des règlementations applicables au logement.

Nous nous sommes donc fondés en partie sur la seule base indiscutable, il s’agit de celle réalisée par l’Office de Tourisme et des Congrès de Paris (OTCP) lors de ses publications annuelles (3).   En 2014, le décompte de l’OTCP est le suivant :

  • 1 588 hôtels, pour 82.227 chambres. Parmi celles-ci, 8.410 chambres sont « non classées » : il peut s’agir d’hôtels en cours de classement, en travaux, ou encore d’hôtels « préfecture » (NB : les hôtels « préfecture », qui ne s’adressent pas à une clientèle de passage, ne sont pas tous comptabilisés par ailleurs),
  • 42 hostels ou auberges de jeunesse pour un peu plus de 7.400 lits,
  • 67 résidences de tourisme pour 4.534 appartements.

 

Le parc hôtelier parisien est très hétérogène : la localisation des établissements est atomisée, et les hôtels de faible capacité sont majoritaires.

Notamment, les 8ème, 9ème, 10ème et 17ème arrondissements concentrent 35% des hôtels et 37% des chambres.

La capacité moyenne des établissements est faible : seuls 650 hôtels développent au moins 40 chambres, et parmi ceux-ci il n’y a que 119 hôtels qui ont plus 100 chambres.

Autrement dit, tous les hôtels ne disposent pas des mêmes moyens pour assurer leur entretien, ou pour se rénover. Ceci ressort clairement de nos travaux.  

 

L’urbanisme et l’hôtellerie parisienne, en quelques chiffres : Depuis 2011, nous avons décompté près de 500 hôtels ayant fait des demandes d’autorisations d’urbanisme à Paris intra-muros (cf. tableau de synthèse ci-dessous), représentant un nombre de chambres supérieur à 28.000.

L’éventail des demandes est très large. Il peut s’agir d’une simple Déclaration Préalable de travaux (DP) pour une demande de ravalement de façade, ou alors de la restructuration complète de l’établissement nécessitant un Permis de Construire (PC).

Aussi avons-nous distingué tout d’abord les opérations de démolition/transformation, c’est-à-dire quand un hôtel est détruit pour redévelopper un autre type d’immeuble (bureaux ou logements).

Puis nous avons également distingué les « gros travaux » des « travaux légers », pour par la suite en identifier l’objet principal : par exemple une extension ou une surélévation, des travaux en façade ou l’installation d’une climatisation.  

 

synthese chiffree urbanisme hotels paris  

I / Les opérations de démolition/transformation : les hôtels de tourisme sont très peu concernés par les destructions

Les opérations de démolitions/transformation constituent le premier phénomène en réponse à l’obsolescence de certains hôtels.

Ces établissements, trop vétustes, ne présentant plus d’intérêt en tant qu’hôtel, ont été appréhendés par les opérateurs immobiliers en tant que charge foncière. 49 hôtels ont été détruits, représentant un nombre de clés de l’ordre de 1.700 chambres (4).

Ci-après une carte présentant la localisation de ces opérations.  

 

mapping destruction des hôtels 

 

A noter que la destruction de l’ex-Pullmann Paris Rive Gauche initiée en 2012, à proximité de la Porte de Versailles, avec près de 630 chambres, représente à elle seule 37% des chambres détruites.

Néanmoins cette opération n’est pas représentative du phénomène : la majorité des hôtels détruits sont des hôtels de faible capacité (<30 chambres), non classés en hôtel de tourisme (zéro étoile, voire hôtel meublé, plus connu sous le terme « hôtel préfecture »).

Cette offre d’hébergement n’a en réalité jamais été proposée sur le marché en tant qu’hôtel de tourisme, quand bien même il s’agit d’hébergement hôtelier au sens du Code de l’Urbanisme (5).

Une étude de l’APUR réalisée en 2007 quantifie l’évolution des hôtels meublés (6) depuis le début du 20ème siècle. Plus de 650 hôtels meublés étaient décomptés, auxquels s’ajoutaient près de 120 hôtels de tourisme qui assuraient en réalité des prestations d’hôtel meublé (pour 35 chambres en moyenne).

Un plan porté par l’Etat et la Ville de Paris, visant à la réhabilitation de ces établissements et l’OPAHM (opération programmée d’amélioration des hôtels meublés), explique la majeure partie des opérations de démolition/transformation. 

 

Hotel meuble apurSur les 48 hôtels démolis, 46 ont été transformés en logement (dont 27 en logements sociaux).Seules 2 opérations ont été transformées en bureaux, l’ex-Pullmann Rive Gauche et un hôtel de 41 chambres dans le 15ème.Les critères clés d’analyse pour mesurer l’intérêt de transformer l’actif hôtelier concerné sont les suivants : – une localisation dans les arrondissements périphériques, ou encore un relatif éloignement des pôles touristiques (loisirs ou affaires) – L’effet combiné de la baisse de la valeur du fonds de commerce « hôtelier » et de la hausse de la valeur immobilière et foncière. Cet effet est d’autant plus important lorsque l’hôtel a une faible capacité, et que les travaux nécessaires sont importants.

 

 

II / Les « gros travaux » : des investissements conséquents réalisés par les hôteliers parisiens

  Sur la période 2011/2015, nous avons identifié 185 projets pouvant être qualifiés de travaux « lourds ». Il s’agit de rénovations complètes, ou encore de travaux de mise en conformité.

Ces 185 hôtels comptabilisent un nombre de chambres s’élevant à 12.374 (sur la base OTCP).   rehab lourde Paris 17eme 

 

Il y a donc eu une tendance de fond au sein de l’hôtellerie parisienne, portant sur la réalisation de gros travaux sur les cinq dernières années.

155 hôtels ont déposé des demandes d’autorisations portant sur une réhabilitation, une rénovation lourde, une restructuration ou un réaménagement intérieur, et proposent (ou vont proposer) plus de 9.600 chambres totalement rénovées.

Les principaux moteurs sont les suivants :

– Les évolution réglementaires

*Nécessité d’une mise aux normes accessibilité et sécurité (échéance 2015) ;

*Le nouveau classement hôtelier, appliqué à compter de l’année 2012, a rebattu les cartes du jeu de la concurrence : Conserver sa catégorie ou repositionner son établissement a nécessité la réalisation de gros travaux pour de nombreux hôteliers.

– La création d’une offre répondant aux standards Haut de Gamme voire Très Haut de Gamme (catégorie 4*, 5* et Palace du nouveau classement hôtelier)

Au début des années 2000, l’offre sur ces segments était relativement faible. La totalité des Palaces s’est rénovée, ou a entamé d’important travaux de rénovation. Dans leur sillage, de nombreux établissements se sont repositionnés (en 4* voire en 5*), et ont initié des travaux lourds, quitte à perdre des chambres.  

a) Localisation des projets « Gros travaux »  

 

mapping gros travaux 

 

En termes de localisation, la plupart des travaux entrepris le sont par des hôtels situés dans les principaux pôles hôteliers (concentration et concurrence accrues, meilleures performances hôtelières sur ces zones).

Les hôtels des arrondissements périphériques sont moins concernés par le phénomène des rénovations lourdes.  

 

b) La capacité des établissements  

La capacité des établissements est également un critère d’analyse prépondérant.

Sur les 185 hôtels ayant effectué une demande de « gros travaux », 78 développent une capacité supérieure à 40 chambres (pour près de 8.492 clés, soit 70% des chambres rénovées). (7)

Pour rappel, les hôtels ayant une capacité dépassant les 40 clés à Paris intra-muros sont au nombre de 650, pour un total de 55.824 chambres (40% des hôtels totalisant près de 68% du total des chambres /source OTCP 2015).  

 

c) Deux Phénomènes à suivre sur les prochaines années : les extensions et les surélévations  

 

i ) Les extensions :   Il n’est pas rare que les hôteliers doivent cohabiter avec d’autres commerces (un café/restaurant, un tabac, une pharmacie, une boulangerie, etc.).

 

Au fil des années, les hôteliers ont progressivement exclu les autres activités de leur enceinte (par ailleurs moins compétitives d’un point de vue immobilier), aussi les demandes d’extension ont-elles été nombreuses au cours des 5 dernières années, il s’agit bien souvent pour les hôteliers de créer une chambre « PMR », ou d’agrandir les espaces communs (réception, lobby, ou salle pour les petits déjeuners).

34 hôtels ont effectué ce type de demandes depuis 2011 (hors projet de « gros travaux »).  

 

potentiel surelev extension  

 

ii ) Les surélévations : l’exploitation du potentiel des dents creuses  

 

La Loi ALUR a supprimé le COS, nous l’avions déjà identifié comme l’un des critères déterminants favorisant les opérations de créations d’hôtels. Les hôtels existants présentent également pour certains un potentiel de création de chambres. 13 hôtels ont fait une demande, dont 9 depuis 2014 (effet loi ALUR indiscutable).  

 

III / Travaux « légers » : les hôteliers entretiennent leurs établissements

  Quand bien même les travaux de rénovation plus légers ne nécessitent pas d’autorisation (par exemple : rénovation des salles de bain, ou réfection de la salle petit déjeuner), les demandes de « travaux légers », telles que celles concernant les ravalements de façades ou l’installation d’appareils de climatisation, constituent un bon indicateur de l’entretien du parc hôtelier.

En effet, il s’agit bien souvent pour l’hôtelier concerné d’apporter la touche finale à son projet de rénovation, avec un aspect extérieur mettant en valeur les travaux entrepris à l’intérieur.

Nous avons été interpellés par le nombre conséquent des demandes de travaux consistant à intervenir en façade sur notre période d’analyse.

212 hôtels sont intervenus en façades, et dans l’immense majorité des cas, il s’agit de ravalement de la totalité des façades.

Selon nous, ces demandes peuvent constituer un excellent indicateur des rénovations légères des hôtels parisiens, au même titre que les demandes d’installation de système de climatisation.

Dans la plupart des cas, au vu des investissements nécessaires pour refaire l’intérieur de l’hôtel, dans un souci de cohérence, le ravalement est entamé lors des travaux intérieurs.

Les demandes de « travaux légers », dont l’immense majorité concerne les façades (212 sur 264), constituent donc un élément central de notre analyse des « travaux légers ».  

 

ravalement paris 9    

a) Localisation des projets « travaux légers »   Les arrondissements périphériques, moins concernés par les « travaux lourds », sont mieux représentés dans la catégorie « travaux légers ».  

  mapping travaux légers  

b) La capacité des établissements   En revanche, en termes de capacité, les hôtels de plus de 40 chambres représentent la majorité : 46% des pétitionnaires, pour 69% des chambres.  

Conclusion : le parc hôtelier parisien est en forte mutation

  Les travaux réalisés par les hôteliers ont été substantiels sur la période 2011/2015 : près de 500 établissements ont demandé une autorisation pour réaliser des travaux de rénovation ou d’entretien. Cela confirme que les investissements dans l’hôtellerie ont été très importants sur une période relativement resserrée de seulement cinq années :

  • 13.973 chambres sont concernées par de « gros travaux »,
  • 13.131 chambres par des « travaux légers » (8).

 

L’évolution du parc hôtelier qui est en cours est donc sans précédent :

Pour rappel près de 120 hôtels pour environ 10.000 chambres vont progressivement venir s’ajouter au « parc existant » (notre analyse de février), et en parallèle le « parc existant » poursuit sa mue à un rythme soutenu.  

 

Pour autant, se dégage l’image d’une hôtellerie à 2 vitesses :

D’une part il y une hôtellerie « neuve », moderne, issue des créations d’hôtels ou d’hôtels qui ont entrepris de « gros travaux ».

D’autre part, il semble y avoir une hôtellerie qui peine à se rénover ou à s’entretenir : il s’agit principalement des petits établissements (< 40 chambres), avec une localisation moins attractive, qui sont moins présents dans le cadre de notre étude.  

 

Ces deux groupes d’hôtels ne disposent pas des mêmes atouts pour faire face aux défis du marché du tourisme : la concurrence s’accroit avec les plateformes proposant des appartements meublés, et les attentes de la clientèle sont de plus en plus diverses (flexibilité, services, coût réduit, expérience, etc.).  

 

L’immobilier ne fait pas tout…  

 

En effet, notre étude est exhaustive sur le plan immobilier, en revanche l’hôtellerie ne saurait se résumer à des Permis de Construire ou à des travaux.

Un hôtel, c’est avant tout une entreprise avec sa clientèle, ses salariés, et une exploitation complexe.

Une fois que l’outil industriel est positionné et répond aux normes du marché, l’hôtelier doit encore faire une partie essentielle du travail : « remplir » son établissement, et optimiser les coûts.

Cela suppose d’autres investissements, dans au moins deux autres fonctions : le marketing et le capital humain.

Or il est patent que depuis presque deux ans, de nouveaux acteurs ont axé la totalité de leur développement sur la fonction marketing, en proposant via des plateformes des hébergements meublés ou para hôteliers.

Ces hôteliers « sans actifs réels », allégés d’un investissement immobilier très capitalistique, sont parvenus à créer une offre alternative à l’hôtellerie traditionnelle et proposent désormais plusieurs dizaines de milliers de « chambres » à Paris intra-muros (40.000 appartements rien que pour Airbnb à Paris (9)).  

 

Sans pour autant négliger les nécessaires investissements immobiliers, les hôteliers devront également relever ce défi marketing pour rester performants et compétitifs face à cette nouvelle concurrence.  

 

Date de publication : mai 2016

Auteur : Jean-Philippe DUCHÊNE

Gérant de Wise Dôme Conseil  

 

Wise Dôme Conseil est un cabinet de conseil indépendant, intervenant sur le conseil en investissements hôteliers (transaction, montage d’opérations), et sur le conseil en changement d’usage (intermédiation en commercialité).

Pour en savoir plus sur nos recherches en urbanisme hôtelier ou sur nos opportunités, n’hésitez pas à nous contacter.  

 

Pour ses études et ses recherches, Wise Dôme Conseil utilise l’outil La Place de l’Immobilier / HBS Research : http://www.laplacedelimmobilier-pro.com/ Wisedome.fr – Tous droits réservés – Ne pas reproduire sans autorisation  

Soyez alerté dès la mise en ligne du prochain article :

 

(1) Déficit estimé à 7.000 clés à la fin des années 2000, puis à 10.000 clés plus récemment.
(2) Le démembrement de propriété, i.e. entre les murs et le fonds de commerce de l’hôtel, peut également constituer un axe d’analyse. Nous tâcherons d’y revenir à l’occasion d’un nouvel article.
(3) Office du Tourisme et des Congrès de Paris / OTCP : http://presse.parisinfo.com/etudes-et-chiffres/chiffres-cles ; Le Tourisme à Paris / Chiffres clés 2014 (édition 2015).
(4) La plupart des hôtels détruits sont des hôtels préfectures (44 sur 46). Ne disposant pas d’un nombre de chambres précis pour ces hôtels, nous avons procédé à des estimations sur la base des surfaces.
(5) Par ailleurs, le nouveau classement hôtelier de 2012 a eu pour conséquence de sortir la quasi-totalité des hôtels de préfecture des classements hôteliers.
(7) Parmi ces 78 hôtels et 8.492 chambres, 18 hôtels ont une capacité de plus de 200 clés, pour 4.996 chambres.
(8) NB : a minima, car des hôtels ont entrepris des travaux qui ne nécessitent pas obligatoirement d’autorisation (ex : changement de décoration des chambres ou des espaces communs). Il est certain que l’investissement hôtelier a été encore plus important sur la période 2011/2015.
(9) Source : Insideairbnb.com / février 2016 : 41.476 appartements, dont 18% sont détenus par des propriétaires qui proposent plusieurs appartements sur le site Airbnb (insideairbnb.com). Par ailleurs, entre 20.000 et 30.000 appartements ne seraient pas « légaux » au sens du Code de l’Urbanisme et du Code de la Construction et de l’Habitation (source : La Tribune http://www.latribune.fr/economie/france/l-invasion-airbnb-une-preoccupation-majeure-pour-paris-543219.html / janvier 2016).